5

 

Et ce fut moi qui trahis Alendi, car je sais à présent qu’il faut à tout prix l’empêcher d’accomplir sa quête.

 

Description : 020

 

Vin voyait la ville refléter des signes d’anxiété. Les travailleurs allaient et venaient nerveusement, les marchés grouillaient d’une foule inquiète – trahissant le genre d’appréhension qu’on attendrait d’un rongeur acculé. Effrayé, mais ne sachant que faire. Condamné sans nulle part où se réfugier.

Beaucoup avaient quitté la ville au cours de l’année écoulée – des nobles en fuite, des marchands en quête d’un autre endroit où faire affaire. Pourtant, dans le même temps, la ville avait connu un véritable afflux de skaa. Ils avaient entendu parler de la proclamation de liberté d’Elend et ils étaient venus avec optimisme – ou du moins, autant d’optimisme qu’une population surmenée, mal nourrie et régulièrement battue pouvait en témoigner.

En définitive, malgré les prédictions annonçant la chute imminente de Luthadel, les gens étaient restés. Avaient travaillé. Vécu. Comme ils l’avaient toujours fait. La vie d’un skaa n’avait jamais été d’une grande sécurité.

Vin s’étonnait toujours de voir le marché si animé. Elle descendit Kenton Street, vêtue de son pantalon et de sa chemise à boutons habituelle, se rappelant l’époque où elle avait fréquenté cette rue lors des jours précédant la Chute. Elle accueillait des boutiques de tailleurs parmi les plus prisées des nobles.

Quand Elend avait aboli les restrictions pesant sur les commerçants skaa, Kenton Street avait changé. La rue s’était transformée en un bazar hétéroclite de boutiques, de tentes et de charrettes. Afin de cibler les travailleurs skaa qui avaient récemment gagné en pouvoir et en salaire, les commerçants avaient changé leurs méthodes de vente. Là où ils aguichaient autrefois le chaland par un étalage de richesses dans les vitrines, ils l’appelaient désormais avec insistance, recourant à des crieurs, vendeurs et même à des jongleurs.

La rue était si animée que Vin l’évitait généralement, et ce jour-là était pire que la plupart. L’arrivée de l’armée avait suscité une frénésie d’achats et de ventes, car les gens tentaient de se préparer pour ce qui s’annonçait. Il régnait une atmosphère sinistre. Moins d’artistes de rue, davantage de cris. Elend avait ordonné qu’on barre les huit portes de la ville afin de rendre toute fuite impossible. Vin se demandait combien de gens regrettaient leur décision de rester.

Elle remonta la rue d’un pas affairé, poings serrés pour chasser toute nervosité de sa posture. Même enfant – gamine des rues dans une dizaine de villes différentes –, elle n’avait jamais aimé la foule. Il était difficile de garder tant de gens à l’œil, de se concentrer lorsqu’il se passait tant de choses. Enfant, elle demeurait cachée aux abords de la foule et ne s’aventurait à l’extérieur que pour ramasser une pièce tombée à terre ou des restes de nourriture.

Elle avait changé désormais. Elle s’obligeait à marcher avec le dos bien droit et s’interdisait de garder les yeux baissés ou de chercher des endroits où se cacher. Elle faisait de gros progrès, mais la vue des foules lui rappelait ce qu’elle avait été. Ce qu’elle serait toujours – du moins en partie.

Comme en réponse à ses méditations, deux gosses des rues traversèrent la foule en courant, poursuivis par les cris d’un homme corpulent en tablier de boulanger. On croisait toujours des gosses des rues dans le nouveau monde d’Elend. En fait, tout bien réfléchi, rémunérer la population skaa rendait la vie plus facile aux gosses des rues. Il y avait davantage de poches à fouiller, de gens pour distraire les commerçants, de restes à récupérer et de mains pour nourrir les mendiants.

Vin avait du mal à concilier son enfance avec une telle vie. Pour elle, un enfant des rues apprenait à rester discret et à se cacher, sortait la nuit pour aller fouiller les ordures. Seuls les plus courageux de ces enfants-là osaient voler les bourses ; la vie des skaa n’avait aucune valeur aux yeux de bien des nobles. Dans son enfance, Vin avait connu plusieurs gosses des rues qui s’étaient fait tuer ou estropier par des nobles de passage qui les trouvaient repoussants.

Si les lois d’Elend n’avaient pas éliminé toute pauvreté, ce qu’il souhaitait tant accomplir, elles avaient amélioré jusqu’à la vie des gosses des rues. Elle l’aimait pour cette raison – entre autres choses.

Il y avait toujours quelques nobles parmi la foule, des hommes qui s’étaient laissés persuader par Elend ou les circonstances que leur fortune serait plus à l’abri en ville qu’ailleurs. Ils étaient désespérés, faibles ou aventureux. Vin regarda passer un homme entouré d’un groupe de gardes. Il lui prêta à peine attention ; à ses yeux, les habits simples de Vin étaient une raison suffisante pour l’ignorer. Une noble ne s’habillerait jamais ainsi.

Alors c’est ce que je suis ? se demanda-t-elle en s’arrêtant près d’une vitrine pour étudier les livres qu’elle renfermait – et dont les ventes avaient toujours représenté un marché petit mais profitable pour les nobles impériaux désœuvrés. Elle profita également du reflet dans la vitre pour s’assurer que personne ne s’approchait furtivement d’elle par-derrière. Suis-je une noble ?

D’une certaine manière, elle ne l’était que par association. Le roi en personne l’aimait – l’avait demandée en mariage – et elle avait été formée par le Survivant de Hathsin. Effectivement, son père était noble, bien que sa mère ait été skaa. Vin tendit la main pour tâter la boucle d’oreille toute simple en bronze qui était le seul souvenir qu’elle conservait de sa mère.

Ce n’était pas grand-chose. Mais, d’un autre côté, Vin n’était pas sûre de vouloir tellement penser à cette femme. Après tout, elle avait tenté de la tuer. En fait, elle avait bel et bien tué la sœur de Vin. Seule l’intervention de Reen, le demi-frère de Vin, l’avait sauvée. Il l’avait arrachée des bras de cette femme qui venait d’enfoncer la boucle dans le lobe de Vin quelques instants plus tôt.

Et Vin la conservait toujours. À titre de rappel. En réalité, elle ne se sentait pas comme une noble. Parfois, il lui semblait avoir davantage en commun avec sa folle de mère qu’avec les aristocrates du monde d’Elend. Les bals et fêtes auxquels elle avait assisté avant la Chute – tout ça n’était qu’une comédie. Un souvenir guère plus substantiel qu’un rêve. Ils n’avaient pas leur place dans ce monde de gouvernements renversés et d’assassinats nocturnes. Par ailleurs, le rôle qu’avait tenu Vin lors des bals – la jeune Valette Renoux – avait toujours été une imposture.

Elle continuait à jouer la comédie. Feignait de ne pas être la jeune fille qui avait connu la faim dans les rues en grandissant, qui avait reçu bien plus de coups qu’elle ne s’était jamais fait d’amis. Vin soupira et se détourna de la vitrine. Mais la suivante attira son attention malgré elle.

Elle présentait des robes de bal.

Les clients désertaient la boutique ; peu de gens pensaient aux robes à la veille d’une invasion. Vin s’arrêta devant la porte, maintenue ouverte comme si elle était faite d’un métal sur lequel on exerçait une Traction. À l’intérieur, les mannequins arboraient des robes somptueuses. Elle leva les yeux vers les tenues à la taille serrée et à la jupe évasée en forme de calice. Elle s’imaginait presque à un bal avec une douce musique en arrière-fond, des tables aux nappes d’un blanc immaculé, Elend debout sur son balcon, en train de feuilleter un livre…

Elle faillit entrer. Mais pourquoi prendre cette peine ? La ville était sur le point de se faire attaquer. Sans compter que les vêtements coûtaient cher. C’était différent lorsqu’elle dépensait l’argent de Kelsier. À présent, elle dépensait celui d’Elend – et c’était celui du royaume.

Elle se détourna des robes et regagna la rue. Ce n’est plus moi. Valette n’est d’aucune utilité à Elend – il a besoin d’une Fille-des-brumes, pas d’une fille mal à l’aise dans une robe qu’elle ne remplit pas tout à fait. Ses plaies de la nuit précédente, dont il ne restait que des ecchymoses bien nettes, lui rappelaient sa place. Elles guérissaient plutôt bien – elle avait passé la journée à brûler du potin en grande quantité – mais elle en garderait quelque temps des courbatures.

Vin pressa le pas en direction des enclos. Et tandis qu’elle marchait, elle aperçut quelqu’un qui la filait.

Enfin, « filer » était peut-être un terme un peu trop généreux – cet homme n’était franchement pas doué pour passer inaperçu. Il avait une calvitie naissante mais portait les cheveux longs sur les côtés. Il arborait une simple blouse de skaa : un habit brun clair d’une seule pièce, taché de cendre.

Génial, se dit Vin. Il y avait une autre raison si elle évitait le marché – et tout autre endroit où se rassemblaient les foules de skaa.

Elle accéléra de nouveau, mais l’homme pressa le pas lui aussi. Bientôt, ses mouvements maladroits attirèrent l’attention – pourtant, au lieu de la maudire, la plupart des gens s’arrêtèrent en affichant un air impressionné. D’autres les rejoignirent, et Vin se retrouva suivie par tout un petit groupe.

Une partie d’elle avait simplement envie de jeter une pièce à terre et de filer dans les airs. C’est ça, se dit-elle, sers-toi de l’allomancie en pleine lumière. Ça t’aidera à passer inaperçue.

Elle se retourna donc avec un soupir pour affronter la foule. Aucun de ces gens ne paraissait particulièrement menaçant. Les hommes portaient des pantalons et des chemises ternes, les femmes des robes de une pièce strictement fonctionnelles. Plusieurs autres hommes étaient vêtus de blouses couvertes de cendres.

Des prêtres du Survivant.

— Dame Héritière, lui lança l’un d’entre eux qui s’approcha d’elle et tomba à genoux.

— Ne m’appelez pas comme ça, répondit Vin tout bas.

Le prêtre leva les yeux vers elle.

— Je vous en prie. Nous avons besoin qu’on nous guide. Nous nous sommes libérés du Seigneur Maître. Que devons-nous faire à présent ?

Vin recula d’un pas. Kelsier avait-il compris ce qu’il accomplissait ? Il avait fait fructifier la confiance que lui portaient les skaa, puis était mort en martyr afin qu’ils se retournent de rage contre l’Empire Ultime. Qu’avait-il cru qu’il se produirait ensuite ? Se pouvait-il qu’il ait prévu l’Église du Survivant – qu’il ait su qu’ils remplaceraient le Seigneur Maître par Kelsier lui-même en tant que Dieu ?

Seulement, Kelsier n’avait laissé aucune doctrine à ses adeptes. Son seul but avait été de vaincre le Seigneur Maître ; en partie pour se venger, en partie pour assurer son héritage, et en partie – du moins l’espérait-elle – par souci de libérer les skaa.

Et maintenant ? Ces gens devaient se sentir comme elle. À la dérive, sans aucune lumière pour les guider.

Et cette lumière, Vin ne pouvait l’incarner.

— Je ne suis pas Kelsier, répondit-elle doucement en reculant d’un autre pas.

— Nous le savons, rétorqua l’un des hommes. Vous êtes son héritière – il nous a quittés, et cette fois, c’est vous la Survivante.

— S’il vous plaît, intervint une femme qui s’avança avec un jeune enfant dans les bras. Dame Héritière. Si la main qui a terrassé le Seigneur Maître pouvait toucher mon enfant…

Vin tenta de reculer encore davantage mais se heurta à un autre groupe. La femme s’approcha et Vin leva enfin une main hésitante vers le front du bébé.

— Merci, dit la femme.

— Vous allez nous protéger, n’est-ce pas, Dame Héritière ? demanda un jeune homme – guère plus âgé qu’Elend – au visage sale mais aux yeux francs. Les prêtres disent que vous allez arrêter cette armée, là-dehors, que ses soldats ne pourront pas entrer dans la ville tant que vous serez ici.

C’en fut trop pour elle. Vin marmonna une vague réponse puis se retourna et se fraya un chemin parmi la foule. Heureusement, le groupe de croyants ne la suivit pas.

Lorsqu’elle ralentit, elle haletait, mais pas à cause de l’effort. Elle s’avança dans une ruelle séparant deux boutiques, s’arrêta dans l’ombre et entoura ses bras autour de son corps. Elle avait passé sa vie à passer inaperçue, discrète et insignifiante. Désormais, elle ne pouvait plus rien être de tout ça.

Qu’attendaient les gens d’elle, au juste ? La croyaient-ils vraiment capable d’arrêter une armée à elle seule ? Elle avait appris une leçon au tout début de sa formation : les Fils-des-brumes n’étaient pas invincibles. Un homme seul, elle pouvait le tuer. Dix pouvaient lui donner du mal. Mais toute une armée…

Vin continua à s’étreindre et prit quelques inspirations pour se calmer. Puis elle regagna enfin la rue animée. Elle était tout près de sa destination à présent – une petite tente ouverte, entourée de quatre enclos. Le marchand se prélassait à côté, un individu négligé qui n’avait de cheveux que sur une moitié du crâne – la droite. Vin resta plantée là un moment, s’efforçant de décider si cette coupe de cheveux bizarre était due à une maladie, une blessure, ou à un choix personnel.

L’homme s’anima quand il la vit debout près de ses enclos. Il s’épousseta, soulevant ainsi une petite quantité de poussière. Puis il s’approcha d’elle d’un pas nonchalant, souriant avec ce qu’il lui restait de dents, comme s’il ignorait qu’une armée était aux portes de la ville – ou comme s’il s’en moquait.

— Ah, mademoiselle, dit-il. Vous cherchez un chiot ? J’ai ici quelques p’tits loupiots qui ne peuvent que plaire aux filles. Tenez, je vais vous en prendre un. Vous conviendrez que c’est le plus mignon que vous ayez jamais vu.

Vin croisa les bras tandis que l’homme tendait la main pour s’emparer d’un chiot dans l’un des enclos.

— En fait, répondit-elle, je cherchais un chien-loup.

Le marchand leva les yeux.

— Un chien-loup, mademoiselle ? C’est pas un animal pour une fille comme vous. Ce sont de sales brutes. Laissez-moi plutôt vous trouver un chien de berger. Ce sont de gentils chiens, ceux-là – et intelligents.

— Non, l’interrompit Vin. Vous allez m’apporter un chien-loup.

L’homme hésita de nouveau et la regarda en se grattant divers endroits fort peu distingués.

— D’accord, je vais voir ce que je peux faire…

Il se dirigea vers l’enclos le plus éloigné de la rue. Vin attendit en silence, plissant le nez tandis que le marchand criait sur plusieurs de ses bêtes et choisissait la plus appropriée. Il finit par entraîner un chien en laisse jusqu’à Vin. C’était un chien-loup, encore que de petite taille – mais il avait le regard doux et docile, ainsi qu’un tempérament manifestement agréable.

— L’avorton de la portée, dit le marchand. Un bon animal pour une jeune fille, je dirais. Et il fera sans doute un excellent chasseur. Ces chiens-loups, ils ont un flair exceptionnel.

Vin tendit la main vers sa bourse mais s’interrompit pour regarder le chien à la langue pendue. Il paraissait presque lui sourire.

— Oh, Seigneur Maître, lâcha-t-elle brusquement en dépassant le chien et son maître pour regagner l’enclos du fond.

— Mademoiselle ? demanda le marchand qui la suivit d’un air hésitant.

Vin balaya les chiens-loups du regard. Dans le fond, elle repéra une bête massive, noir et gris. Enchaînée à un piquet, elle la toisait d’un air de défi tandis qu’un grondement étouffé montait de sa gorge.

Vin la montra du doigt.

— Combien pour celui-là, dans le fond ?

— Celui- ? s’exclama le marchand. Mais ma brave dame, c’est un chien de garde. Il est destiné à être lâché sur les terres d’un lord pour attaquer les intrus ! C’est l’un des chiens les plus méchants que vous verrez jamais !

— Parfait, répondit Vin en tirant quelques pièces de sa bourse.

— Ma brave dame, je ne peux pas vous vendre cette bête. Pour rien au monde. Elle doit faire la moitié de votre poids !

Vin hocha la tête, puis ouvrit le portail de l’enclos et y pénétra. Le marchand poussa un cri, mais Vin se dirigea tout droit vers le chien-loup. Celui-ci se mit à aboyer furieusement, l’écume aux lèvres.

Désolée pour ce que je m’apprête à faire, se dit-elle. Puis, brûlant du potin, elle abattit son poing sur la tête de l’animal.

La bête s’immobilisa et tomba à terre, inconsciente. Le marchand s’arrêta près d’elle, bouche ouverte.

— Une laisse, ordonna Vin.

Il lui en tendit une. Elle s’en servit pour lier les pattes de l’animal et, attisant son potin, elle le jeta sur son épaule. La douleur de ses côtes ne la fit qu’à peine grimacer.

Ce bestiaux a intérêt à ne pas baver sur ma chemise, songea-t-elle en tendant des pièces au marchand avant de regagner le palais.

 

Vin laissa brutalement retomber le chien-loup à terre. Les gardes l’avaient regardée curieusement à son arrivée au palais, mais elle commençait à s’y habituer. Elle s’épousseta les mains.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? s’enquit OreSeur.

Il avait regagné les appartements de Vin dans le palais, mais son corps actuel était manifestement inutilisable. Il avait dû former des muscles à des endroits qui n’en avaient normalement pas besoin pour maintenir la cohésion du squelette et, bien qu’il ait guéri de ses plaies, son corps avait une apparence peu naturelle. Il portait toujours les habits de la nuit précédente, maculés de sang.

— Ça, répondit Vin en désignant le chien-loup, c’est votre nouveau corps.

OreSeur hésita.

— Ça ? Maîtresse, c’est un chien.

— Oui, répondit Vin.

— Et je suis un homme.

— Vous êtes un kandra, rétorqua Vin. Et même à supposer que je tue quelqu’un, je ne vous laisserais pas le… manger. Sans compter que ce sera beaucoup plus discret. Les gens se poseraient des questions si je passais mon temps à remplacer mes intendants par des inconnus. Voilà des mois que je raconte partout que j’envisage de vous congédier. Eh bien, je leur dirai que j’ai fini par le faire – personne ne s’apercevra que mon nouveau chien de compagnie est un kandra.

Elle se retourna, désignant la carcasse.

— Ce sera très utile. Les gens prêtent moins d’attention aux chiens qu’aux humains, ce qui vous permettra d’épier les conversations.

L’expression d’OreSeur se fit encore plus songeuse.

— Je n’accepterai pas facilement. Vous allez devoir m’y contraindre, en vertu du Contrat.

— Très bien, répondit Vin. Je vous l’ordonne. Combien de temps est-ce que ça prendra ?

— Un corps ordinaire ne demande que quelques heures, répondit OreSeur. Pour celui-ci, ce sera peut-être un peu plus long. Ce sera difficile d’obtenir assez de fourrure pour avoir l’apparence adéquate.

— Alors commencez tout de suite, conclut Vin en se retournant vers la porte.

Mais alors qu’elle s’apprêtait à sortir, elle remarqua un petit paquet posé sur son bureau. Elle fronça les sourcils, s’en approcha et souleva le couvercle. Elle y trouva un mot.

 

Lady Vin,

Voici l’alliage que vous me demandiez. L’aluminium est très difficile à acquérir mais, comme une famille d’aristocrates venait de quitter la ville, je suis parvenu à acheter une partie de leur vaisselle.

J’ignore si celui-ci fonctionnera, mais je crois que ça vaut la peine d’essayer. J’ai mélangé cet aluminium à quatre pour cent de cuivre et trouvé le résultat tout à fait prometteur. J’ai entendu parler de cet alliage : on l’appelle duralumin.

Votre serviteur, Terion

 

Vin sourit, reposa le mot et sortit de la boîte le reste de son contenu : une petite bourse de poussière de métal ainsi qu’une fine barre argentée, sans doute composées toutes deux de ce « duralumin ». Terion était un expert en métallurgie allomantique. Bien qu’il ne soit pas lui-même allomancien, il avait passé presque toute sa vie à créer alliages et poudres pour les Fils-des-brumes et les Brumants.

Vin empocha la bourse et la barre puis se retourna vers OreSeur. Le kandra la regarda avec une expression hostile.

— Ce colis est arrivé aujourd’hui ? demanda-t-elle en le montrant d’un signe de tête.

— Oui, Maîtresse. Il y a quelques heures.

— Et vous ne m’avez rien dit ?

— Je suis désolé, Maîtresse, répondit OreSeur de son intonation monocorde, mais vous ne m’avez pas ordonné de vous prévenir quand des colis arrivaient.

Vin grinça des dents. Il savait avec quelle impatience elle attendait le nouvel alliage envoyé par Terion. Aucun des précédents alliages d’aluminium qu’il avait testés n’avait eu l’effet espéré. Elle n’aimait pas savoir qu’il existait un autre métal allomantique qui attendait qu’on le découvre. Elle ne serait satisfaite que lorsqu’elle l’aurait découvert.

OreSeur resta simplement assis sur place, une expression terne sur le visage, le chien-loup inconscient à ses pieds.

— Mettez-vous au travail avec ce corps, ordonna Vin avant de quitter la pièce en quête d’Elend.

 

Elle le trouva enfin dans son bureau, occupé à parcourir des livres de comptes en compagnie d’une silhouette familière.

— Dox ! s’écria Vin.

Il s’était retiré dans ses appartements peu après son arrivée la veille, si bien qu’elle ne l’avait pratiquement pas vu.

Dockson leva les yeux en souriant. Trapu sans être corpulent, il possédait de courts cheveux noirs et portait toujours sa courte barbe habituelle.

— Bonjour, Vin.

— C’était comment, Terris ? demanda-t-elle.

— Il faisait froid, répondit Dockson. Je suis content d’être revenu. Cela dit, j’aurais préféré ne pas trouver cette armée en arrivant.

— Quoi qu’il en soit, nous sommes ravis de votre retour, Dockson, intervint Elend. Le royaume a failli s’effondrer sans vous.

— On ne dirait pas, répondit Dockson, qui referma son livre de comptes et le reposa sur la pile. Tout bien considéré – y compris les armées –, il semblerait que la bureaucratie royale ait plutôt bien tenu le coup en mon absence. Vous n’avez quasiment plus besoin de moi !

— Ne dites pas de bêtises ! s’exclama Elend.

Vin s’appuya contre la porte, observant les deux hommes tandis qu’ils poursuivaient leur discussion. Ils conservaient une expression de jovialité forcée. Tous deux avaient la ferme intention de faire fonctionner le nouveau royaume, même s’il fallait qu’ils feignent de s’apprécier à cette fin. Dockson désigna plusieurs emplacements dans les livres, parla des finances et de ce qu’il avait découvert dans les villages les plus éloignés se trouvant sous le contrôle d’Elend.

Vin soupira et regarda de l’autre côté de la pièce. La lumière du soleil traversait la rosace, projetant des taches de couleur sur les livres et la table. Encore aujourd’hui, Vin ne s’était toujours pas habituée à la richesse désinvolte des bastions des nobles. Le vitrail – rouge et lavande – était d’une beauté complexe. Pourtant, les nobles semblaient le juger assez banal pour le placer au fin fond d’un bastion, dans la petite pièce dont Elend avait fait son bureau.

Comme on pouvait s’y attendre, l’endroit était rempli de piles de livres. Des étagères occupaient les murs du sol au plafond, mais elles ne suffisaient pas à accueillir la masse croissante de la collection d’Elend. Vin n’avait jamais réellement partagé ses goûts en matière de livres. Il s’agissait essentiellement d’ouvrages politiques ou historiques, abordant des thèmes aussi poussiéreux que leurs pages jaunies. La plupart avaient naguère été interdits par le Ministère d’Acier mais les anciens philosophes étaient curieusement capables de rendre assommants même les sujets les plus licencieux.

— Quoi qu’il en soit, Majesté, déclara Dockson en refermant enfin ses livres, j’ai quelques tâches à accomplir avant votre discours de demain. J’ai bien entendu Ham parler d’une réunion de défense de la ville qui se tiendra aussi ce soir-là ?

Elend acquiesça.

— À supposer que je parvienne à convaincre l’Assemblée de ne pas livrer la ville à mon père, nous allons devoir mettre au point une stratégie pour nous occuper de cette armée. J’enverrai quelqu’un vous chercher demain soir.

— Parfait, répondit Dockson.

Sur ce, il gratifia Elend d’un signe de tête et Vin d’un clin d’œil, puis quitta la pièce encombrée.

Tandis que Dockson fermait la porte, Elend soupira, puis se laissa aller sur son fauteuil trop grand.

Vin s’avança vers lui.

— C’est vraiment quelqu’un de bien, Elend.

— Oh, j’en suis conscient. Mais être quelqu’un de bien ne vous rend pas forcément appréciable pour autant.

— Et il est agréable, insista Vin. Solide, calme et fiable. La bande se reposait sur lui.

Bien que Dockson ne soit pas allomancien, il avait été le bras droit de Kelsier.

— Il ne m’aime pas, Vin, répondit Elend. C’est… très difficile de s’entendre avec quelqu’un qui me regarde comme ça.

— Tu ne lui donnes pas sa chance, se plaignit Vin en s’arrêtant près du fauteuil d’Elend.

Il leva les yeux vers elle avec un faible sourire, la veste déboutonnée, les cheveux en désordre total.

— Hum…, dit-il d’un air distrait en lui prenant la main. J’aime beaucoup cette chemise. Le rouge te va très bien.

Vin leva les yeux au ciel et le laissa l’attirer doucement vers le fauteuil pour l’embrasser. Il y avait de la passion dans ce baiser – un besoin de stabilité, peut-être. Vin y répondit et se sentit se détendre tandis qu’elle se serrait contre lui. Quelques minutes plus tard, elle soupira, nettement plus à son aise, blottie contre lui dans le fauteuil. Il l’attira tout près, inclinant le fauteuil à la lumière du soleil.

Il la regarda en souriant.

— Tu… portes un nouveau parfum.

Vin ricana et posa la tête contre sa poitrine.

— Ce n’est pas du parfum, Elend. C’est un chien.

— Ah, parfait. Je craignais que tu aies perdu la tête. Cela dit, y a-t-il une raison particulière qui explique que tu portes l’odeur d’un chien ?

— Je suis allée en acheter un au marché, ensuite je l’ai transporté jusqu’ici et donné à manger à OreSeur pour qu’il en fasse son nouveau corps.

Elend hésita.

— Eh bien, Vin. Quelle brillante idée ! Personne ne soupçonnera un chien d’être un espion. Je me demande si quelqu’un y avait déjà pensé…

— Forcément. Enfin, ça paraît tellement logique. Cela dit, je ne crois pas que ceux qui ont eu cette idée aient partagé leur expérience.

— Bien vu, répondit Elend en se laissant aller en arrière.

Pourtant, malgré leur proximité, elle percevait toujours une tension en lui.

Le discours de demain, songea Vin. Il s’inquiète pour ça.

— Cela dit, reprit Elend, je dois avouer que je suis un peu déçu que tu ne portes pas de parfum de chien. Compte tenu de ton statut social, j’imagine bien certains aristocrates locaux essayer de t’imiter. Ce serait très amusant.

Elle s’écarta pour scruter son visage à l’expression narquoise.

— Tu sais, Elend, des fois, c’est franchement difficile de savoir quand tu plaisantes et quand tu dis simplement des bêtises.

— Ce qui me rend plus mystérieux, non ?

— On peut dire ça, admit-elle en se blottissant de nouveau contre lui.

— Eh bien, vois-tu, tu ne comprends pas à quel point c’est intelligent de ma part. Si les gens n’arrivent pas à déterminer quand je me comporte en idiot ou en génie, peut-être qu’ils prendront mes bourdes pour de brillantes manœuvres politiques.

— Tant qu’ils ne prennent pas tes véritables manœuvres brillantes pour des bourdes.

— Ça ne devrait pas être difficile. Je crains d’en avoir assez peu pour que les gens ne s’y trompent pas.

Vin leva des yeux inquiets en percevant une certaine tension dans sa voix. Mais il changea de sujet, un sourire aux lèvres.

— Donc, OreSeur le chien. Est-ce qu’il pourra toujours t’accompagner dans tes sorties nocturnes ?

Vin haussa les épaules.

— J’imagine que oui. Je ne pensais pas l’emmener avant un moment.

— J’apprécierais que tu le fasses, insista Elend. Je m’inquiète de te savoir là-dehors, toutes les nuits, à te donner tant de mal.

— Je m’en sors très bien, répondit Vin. Il faut bien que quelqu’un veille sur toi.

— D’accord, mais qui veille sur toi ?

Kelsier. Aujourd’hui encore, c’était sa réaction immédiate. Elle l’avait connu moins d’un an, mais ç’avait été la première fois de sa vie qu’elle s’était sentie protégée.

Seulement Kelsier était mort. Comme le reste du monde, elle devait vivre sans lui.

— Je sais que tu as été blessée en combattant ces allomanciens l’autre nuit, reprit Elend. J’aurais l’esprit plus tranquille si je te savais accompagnée.

— Un kandra n’est pas un garde du corps, objecta Vin.

— Je sais. Mais ils sont d’une extraordinaire loyauté – je n’ai jamais entendu parler d’un kandra qui ait rompu son Contrat. Il fera attention à toi. Je m’inquiète pour toi, Vin. Tu te demandes pourquoi je veille si tard, à rédiger mes propositions ? Je ne peux pas dormir en sachant que tu es peut-être dehors en train de te battre – ou pire encore, étendue quelque part dans une rue, en train d’agoniser parce que personne n’était là pour t’aider.

— Des fois, j’emmène OreSeur.

— Oui, répondit Elend, mais je sais que tu trouves des excuses pour le laisser en arrière. Kelsier t’a acheté les services d’un serviteur incroyablement précieux. Je ne comprends pas pourquoi tu fais tant d’efforts pour l’éviter.

Vin ferma les yeux.

— Elend, il a mangé Kelsier.

— Et alors ? demanda Elend. Kelsier était déjà mort. Par ailleurs, il lui en avait lui-même donné l’ordre.

Vin soupira et ouvrit les yeux.

— C’est seulement que… je n’ai pas confiance en cette créature, Elend. Elle est contre nature.

— Je sais. Mon père employait un kandra en permanence. Mais OreSeur vaut mieux que rien. Promets-moi de l’emmener.

— D’accord. Cependant je crois que cet arrangement ne lui plaira pas beaucoup, à lui non plus. Même quand il incarnait Renoux et moi sa nièce, on ne s’entendait pas très bien.

Elend haussa les épaules.

— Il respectera son Contrat. C’est l’essentiel.

— Il le fait, mais à contrecœur. Je te jure qu’il adore me frustrer.

Elend la regarda.

— Vin, les kandra sont d’excellents serviteurs. Ils ne font pas ce genre de chose.

— Non, Elend, insista-t-elle. Sazed était un excellent serviteur. Il appréciait la compagnie des gens, il aimait les aider. Je n’ai jamais eu l’impression qu’il m’en ait voulu. OreSeur obéit peut-être à tous mes ordres, mais il ne m’aime pas ; il ne m’a jamais aimée. Je le vois bien.

Elend soupira en lui frottant l’épaule.

— Tu ne crois pas que tu te montres un peu irrationnelle ? Tu n’as pas de véritable raison de le détester à ce point.

— Ah bon ? répondit Vin. Parce que toi, tu as une bonne raison de ne pas t’entendre avec Dockson ?

Elend hésita.

— Tu as sans doute raison, soupira-t-il.

Il continua à frotter l’épaule de Vin tout en levant des yeux contemplatifs vers le plafond.

— Quoi ? demanda Vin.

— Je ne m’en sors pas très bien, hein ?

— Ne dis pas de bêtises. Tu es un roi formidable.

— Je suis peut-être un roi correct. Mais je ne suis pas lui.

— Qui ça ?

— Kelsier, répondit doucement Elend.

— Elend, personne n’attend de toi que tu sois Kelsier.

— Ah non ? C’est pour cette raison que Dockson ne m’aime pas. Il déteste les nobles ; ça transparaît dans sa façon de parler, dans son comportement. Je ne sais pas si je le lui reproche vraiment, compte tenu de la vie qu’il a menée. Malgré tout, il estime que je ne devrais pas être roi. Et que ce devrait être un skaa à ma place – ou encore mieux, Kelsier. Ils pensent tous comme lui.

— Tu racontes n’importe quoi, Elend.

— Tu en es sûre ? Et si Kelsier était toujours en vie, est-ce que moi, je serais roi ?

Elle se tut.

— Tu vois ? Ils m’acceptent – le peuple, les commerçants, même les nobles. Mais confusément, ils regrettent de ne pas avoir Kelsier à la place.

— Pas moi.

— Ah non ?

Vin fronça les sourcils. Puis elle se redressa et se tourna de manière à enfourcher Elend dans le fauteuil incliné, le visage à quelques centimètres du sien.

— Ne te pose jamais cette question, Elend. Kelsier a été mon professeur, mais je n’étais pas amoureuse de lui. Pas comme je le suis de toi.

Elend la regarda droit dans les yeux, puis hocha la tête. Vin le gratifia d’un baiser intense, puis se blottit de nouveau contre lui.

— Pourquoi ça ? finit par demander Elend.

— Eh bien pour commencer, il était vieux.

Elend gloussa.

— Je crois me rappeler qu’il t’est aussi arrivé de te moquer de mon âge.

— C’est différent, répondit Vin. Tu n’as que quelques années de plus que moi – Kelsier était un vieillard.

— Vin, on n’est pas un vieillard à trente-huit ans.

— On n’en est pas très loin.

Elend gloussa de nouveau, mais elle voyait bien qu’il n’était pas satisfait de sa réponse. Pourquoi avait-elle choisi Elend plutôt que Kelsier ? C’était Kelsier, le visionnaire, le héros, le Fils-des-brumes.

— Kelsier était un grand homme, dit-elle tout bas tandis qu’Elend commençait à lui caresser les cheveux. Mais… il y avait quelque chose en lui, Elend. Quelque chose d’effrayant. Il était extrême, casse-cou, et même un peu cruel. Impitoyable. Il massacrait des gens sans remords ni culpabilité, simplement parce qu’ils soutenaient l’Empire Ultime ou travaillaient pour le Seigneur Maître.

» Je pouvais l’aimer comme professeur et ami. Mais je crois que je ne pourrais jamais aimer – vraiment aimer – un homme comme lui. Quand on lutte tant pour vivre, on devient plus fort – mais on peut aussi s’endurcir. Je ne sais pas si c’était ou non sa faute, mais Kelsier me rappelait trop certains hommes que j’ai… connus quand j’étais plus jeune. Kell était bien meilleur qu’eux – il pouvait se montrer vraiment gentil, et il a sacrifié sa vie pour les skaa. Mais il était tellement dur.

Elle ferma les yeux, goûtant la chaleur d’Elend.

— Toi, Elend Venture, tu es un homme bon. Vraiment bon.

— Les hommes bons ne deviennent pas des légendes, dit-il tout bas.

— Ils n’en ont pas besoin, répondit-elle en ouvrant les yeux pour le regarder. Ils font de toute façon ce qui est juste.

Elend sourit. Puis il lui embrassa le sommet du crâne et se laissa aller en arrière. Ils restèrent un moment à se détendre dans cette pièce réchauffée par la lumière du soleil.

— Un jour, dit enfin Elend, il m’a sauvé la vie.

— Qui ça ? demanda Vin, surprise. Kelsier ?

Elend hocha la tête.

— Le lendemain de la capture de Spectre et d’OreSeur, le jour de la mort de Kelsier. Il y a eu une bataille sur la place quand Ham et des soldats ont voulu libérer les prisonniers.

— J’étais là. Je me cachais dans une ruelle avec Brise et Dox.

— Ah bon ? demanda Elend, l’air quelque peu amusé. Parce que j’étais venu à ta recherche. Je croyais qu’on t’avait arrêtée, ainsi qu’OreSeur – il se faisait passer pour ton oncle à l’époque. J’ai essayé d’atteindre les cages pour te secourir.

— Tu as fait quoi ? Elend, cette place était un vrai champ de bataille ! Seigneur Maître, il y avait un Inquisiteur !

— Je sais, répondit Elend avec un faible sourire. Vois-tu, c’est cet Inquisiteur qui a tenté de me tuer. Il brandissait déjà sa hache. Et ensuite… Kelsier est arrivé. Il s’est jeté sur l’Inquisiteur et l’a fait tomber à terre.

— Sans doute une coïncidence, répondit Vin.

— Non, dit doucement Elend. Il m’a regardé pendant qu’il se battait avec l’Inquisiteur, et je l’ai lu dans ses yeux. Je me suis toujours interrogé sur ce moment ; tout le monde me dit que Kelsier détestait les nobles encore plus que Dox.

Vin hésita.

— Il avait… commencé à changer un peu vers la fin, je crois.

— Assez pour risquer sa peau en protégeant le premier noble venu ?

— Il savait que je t’aimais, répondit Vin avec un petit sourire. J’imagine qu’au bout du compte, ça s’est révélé avoir plus de poids que sa haine.

— Je ne savais pas…

Il laissa sa phrase en suspens tandis que Vin se retournait, alertée par un bruit. Des pas en approche. Elle se redressa et, l’instant d’après, Ham passa la tête dans la pièce. Mais il s’arrêta quand il la vit assise sur les genoux d’Elend.

— Ah, dit-il. Désolé.

— Non, attends, répondit Vin.

Ham repassa la tête dans la pièce et elle se tourna vers Elend.

— J’avais presque oublié pourquoi j’étais venue te voir au départ. Je viens de recevoir un nouveau colis de Terion.

— Encore ? demanda Elend. Vin, quand est-ce que tu vas renoncer ?

— Je ne peux pas me le permettre, répondit-elle.

— Ça ne peut quand même pas être si important ? Je veux dire que si tout le monde a oublié l’effet de ce dernier métal, c’est qu’il ne doit pas être bien puissant.

— Ou alors, il l’était tellement que le Ministère a déployé de gros efforts pour le garder secret.

Elle glissa au bas du fauteuil pour se relever, puis tira de sa poche la bourse et la fine barre de métal. Elle tendit cette dernière à Elend, qui se redressa dans son fauteuil.

Comme l’aluminium dont il était composé, ce métal aux reflets argentés paraissait trop léger pour être réel. Tout allomancien qui brûlait de l’aluminium par accident se voyait dépouillé de toutes ses autres réserves de métaux et se retrouvait donc impuissant. Le Ministère d’Acier avait gardé secrètes les propriétés de l’aluminium ; Vin ne les avait découvertes que la nuit de sa capture par les Inquisiteurs, celle-là même où elle avait tué le Seigneur Maître.

Ils n’étaient jamais parvenus à découvrir le bon alliage allomantique de l’aluminium. Les métaux allomantiques fonctionnaient toujours par paires – fer et acier, étain et potin, cuivre et bronze, zinc et laiton. Aluminium et… autre chose. De puissant, avec un peu de chance. Son atium avait disparu. Elle avait besoin d’un avantage.

Elend lui rendit la barre de métal en soupirant.

— Vin, la dernière fois que tu as essayé d’en brûler une, tu as été malade pendant deux jours. J’étais terrifié.

— Ça ne peut pas me tuer, répondit Vin. Kelsier m’a promis que brûler un mauvais alliage me rendrait seulement malade.

Elend secoua la tête.

— Même Kelsier se trompait de temps en temps, Vin. Tu ne m’as pas dit qu’il avait mal compris le fonctionnement du bronze ?

Vin hésita. L’inquiétude d’Elend était si authentique qu’elle sentit qu’elle se laissait convaincre. Toutefois…

Quand cette armée attaquera, Elend se fera tuer. Les skaa de la ville survivraient peut-être – aucun souverain ne serait assez idiot pour massacrer la population d’une ville aussi productive. Mais le roi, en revanche, serait tué. Elle ne pouvait pas affronter une armée à elle seule, et ne pouvait guère aider aux préparatifs.

Cependant, elle connaissait l’allomancie. Plus elle se perfectionnerait, plus elle serait en mesure d’aider l’homme qu’elle aimait.

— Il faut que j’essaie, Elend, dit-elle doucement. Clampin affirme que Straff n’attaquera pas avant quelques jours – il va lui falloir cet intervalle pour que ses hommes récupèrent du voyage et fassent quelques repérages avant d’attaquer. Ça signifie que je ne peux pas attendre. Si ce métal me rend malade, j’aurai récupéré à temps pour participer au combat – mais seulement si j’essaie dès maintenant.

L’expression d’Elend s’assombrit, mais il ne le lui interdit pas. Il avait appris à ne pas faire ces choses-là. Il se leva plutôt.

— Ham, vous pensez que c’est une bonne idée ?

L’intéressé hocha la tête. C’était un guerrier ; à ses yeux, ce risque avait un sens. Elle lui avait demandé de rester parce qu’elle aurait besoin qu’on la porte jusqu’à son lit si l’expérience tournait mal.

— D’accord, dit Elend qui se retourna vers Vin, la mine résignée.

Vin s’installa dans le fauteuil puis avala une pincée de poussière de duralumin. Elle ferma les yeux et explora ses réserves allomantiques. Les huit métaux de base étaient là, en quantité satisfaisante. Elle ne possédait ni or ni atium, pas plus que leurs alliages. Même si elle avait eu de l’atium, il était trop précieux pour qu’on l’utilise autrement qu’en cas d’urgence – et les trois autres n’avaient qu’une utilité minime.

Une nouvelle réserve apparut. Tout comme les quatre fois d’avant. Chaque fois qu’elle avait brûlé un alliage de l’aluminium, elle avait été prise aussitôt d’une migraine fulgurante. On pourrait croire que j’aurais retenu la leçon…, se dit-elle. Serrant les dents, elle explora cette nouvelle réserve à tâtons pour brûler cet alliage.

Rien ne se produisit.

— Tu as déjà essayé ? demanda Elend, inquiet.

Vin hocha lentement la tête.

— Pas de mal de tête. Mais… je ne sais pas trop si l’alliage a un effet ou pas.

— Mais il brûle ? demanda Ham.

Elle hocha la tête. Elle éprouvait cette chaleur intérieure familière, ce feu minuscule qui lui apprenait qu’un métal brûlait. Elle tenta de bouger légèrement, mais ne perçut aucun changement dans son enveloppe physique. Enfin, elle leva la tête et haussa les épaules.

Ham fronça les sourcils.

— Si ça ne t’a pas rendue malade, c’est que tu as trouvé le bon alliage. Chaque métal n’en possède qu’un de valide.

— Ou alors, répondit Vin, c’est ce qu’on nous a toujours dit.

Ham hocha la tête.

— De quel alliage est-ce qu’il s’agissait ?

— Aluminium et cuivre, répondit Vin.

— Intéressant, dit Ham. Tu ne sens vraiment rien du tout ?

Vin fit signe que non.

— Il va falloir que tu t’entraînes encore un peu.

— On dirait que j’ai de la chance, commenta Vin en éteignant le duralumin. Terion a produit quarante alliages différents qu’il pensait qu’on pouvait essayer, une fois qu’on aurait assez d’aluminium. Celui-là n’était que le cinquième.

— Quarante ? demanda Elend, incrédule. Je ne savais pas qu’il existait tant de métaux à partir desquels on pouvait produire des alliages.

— Il ne faut pas nécessairement deux métaux pour produire un alliage, répondit distraitement Vin. Simplement un métal et un autre élément. Prends l’acier par exemple : c’est du fer et du charbon.

— Quarante…, répéta Elend. Et tu les aurais tous essayés ?

Vin haussa les épaules.

— Ça paraissait un bon début.

Cette idée sembla inquiéter Elend, mais il n’ajouta rien. Il se tourna plutôt vers Ham.

— Enfin bref, Ham, vous vouliez nous parler de quelque chose ?

— Rien d’important, répondit Ham. Je voulais simplement voir si Vin était d’humeur à s’entraîner. Cette armée me rend nerveux et je me suis dit que Vin avait encore besoin de s’exercer un peu au bâton.

Vin haussa les épaules.

— D’accord. Pourquoi pas ?

— Vous voulez venir, El ? demanda Ham. Vous entraîner un peu ?

Elend éclata de rire.

— Et affronter l’un de vous deux ? Il faut que je pense à ma dignité de roi !

Vin fronça légèrement les sourcils et leva les yeux vers lui.

— Il faudrait vraiment que tu t’entraînes un peu plus, Elend. Tu sais à peine tenir une épée, et tu n’es vraiment pas doué avec les cannes de duel.

— Eh bien, vois-tu, pourquoi faudrait-il que je m’en soucie alors que tu es là pour me protéger ?

Vin parut encore plus soucieuse.

— On ne pourra pas toujours être là, Elend. Je m’inquiéterais nettement moins si tu étais plus doué pour te défendre.

Il se contenta de sourire et de l’aider à se lever.

— J’y viendrai, je te le promets. Mais pas aujourd’hui – j’ai trop de choses en tête pour l’instant. Et si je venais simplement vous regarder, tous les deux ? Peut-être que j’apprendrais des choses en vous observant – ce qui est, soit dit en passant, ma méthode préférée pour apprendre le maniement des armes, comme elle n’implique pas de me faire battre par une fille.

Vin soupira mais n’insista pas.

Le puits de l'ascension
titlepage.xhtml
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_025.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_026.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_027.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_028.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_029.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_030.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_031.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_032.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_033.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_034.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_035.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_036.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_037.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_038.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_039.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_040.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_041.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_042.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_043.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_044.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_045.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_046.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_047.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_048.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_049.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_050.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_051.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_052.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_053.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_054.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_055.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_056.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_057.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_058.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_059.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_060.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_061.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_062.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_063.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_064.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_065.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_066.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_067.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_068.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_069.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_070.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_071.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_072.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_073.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_074.html
Sanderson,Brandon-[Fils des Brumes-2]Le puits de l'ascension(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_075.html